revuedesdeuxmondes.fr publié le 9/11
La société Benetton, dont le chiffre d’affaires a chuté depuis la pandémie, tente de se refaire avec une astucieuse campagne marketing. Un rappeur avec beaucoup de followers (le must en matière d’icône publicitaire) et une idée « grave cool » pour plaire aux jeunes : un hijab « unisexe » de couleur. Ghali est Italien, d’origine tunisienne. Il est enchanté que la société Benetton fasse la promotion de ce « hijab inclusif » porté par des hommes. La normalisation du foulard islamique par la mode n’est pas une nouveauté. Nous avons déjà eu droit au foulard glam, au foulard fashion, à la mode des femmes « pudiques » (contrairement à toutes les autres qui sont impudiques ?)… L’industrie de la mode s’empare sans état d’âme d’un marché de plusieurs centaines de millions de consommatrices. Business as usual.
Benetton était connu pour ses campagnes provocatrices prônant le métissage des cultures dans les années 80. La marque de mode s’imagine peut-être renouer avec sa tradition impertinente en commercialisant un hijab inclusif unisexe ? Mais c’est tellement l’opposé que cela en devient presque comique. Un homme portant un hijab « ne couvre pas sa honte » de provoquer le sexe opposé. Il ne risque rien s’il ne le porte pas. Surtout en Europe, dans nos démocraties où les droits des femmes, comme ceux de toutes les identités de genre, sont protégés.
En Iran, en 2016, des hommes avaient lancé un mouvement « hijab pour les hommes », en signe de solidarité avec les femmes iraniennes soumises à l’obligation du port du voile. Une protestation symbolique mais clairement conçue comme une provocation envers le régime des mollahs. Un vrai risque.
« Ghali porte fièrement son voile comme emblème de la « femme musulmane libre » qu’il s’agit de protéger contre tous les horribles « islamophobes ». Pas question de dénoncer le caractère sexiste, patriarcal et politique du voile. »
Ghali et Benetton ne veulent surtout pas contrarier le régime islamiste d’Iran, d’Arabie saoudite ou d’Afghanistan. On reste des rebelles bien au chaud dans nos pulls Benetton et dans les démocraties qui, de toute façon, ne jurent que par l’inclusivité. Le rappeur, hélas, ne porte pas le hijab par solidarité avec les femmes emprisonnées pour avoir refusé de le porter. Comme l’avocate Nasrin Sotoudeh condamnée en 2019 à quinze ans de prison et 148 coups de bâton par le régime iranien, pour s’être, entre autres, présentée au tribunal sans hijab. Non, Ghali porte fièrement son voile comme emblème de la « femme musulmane libre » qu’il s’agit de protéger contre tous les horribles « islamophobes ». Pas question de dénoncer le caractère sexiste, patriarcal et politique du voile. « Quand j’étais petit, explique-t-il dans une interview lors de la fashion week de Milan, il n’y avait personne pour me représenter. Maintenant c’est la normalité. » Le voile est le symbole de l’identité musulmane. Alors qu’il y a encore vingt ans, il était porté par une infime minorité de femmes dans les pays non musulmans (et parfois aussi dans les pays musulmans), il est devenu la représentation officielle de l’islam : c’est la plus grande victoire de l’islam politique. Hormis quelques mollahs qui feront la grimace devant cette utilisation « dégenrée » d’un symbole traditionnel, la majorité des islamistes ne pourra que se féliciter de cette consécration de leur étendard politique par la fashion, le féminisme inclusif et le business.
Cela adoucira leur déception d’avoir vu la campagne du Conseil de l’Europe prônant la beauté, la diversité et la joie par le hijab retirée (provisoirement ?) du site officiel de l’institution européenne. Une campagne ahurissante de promotion du voile chariatique, sous prétexte de lutte « contre la haine » et la discrimination subies par les femmes musulmanes. Et derrière laquelle se cache le maillage extrêmement efficace du réseau des Frères musulmans européens, aidés par leurs idiots utiles intersectionnels et woke.
Il faut lire l’excellente tribune de Florence Bergeaud-Blackler qui en explique toute l’articulation. « Les institutions européennes se sont-elles mises au service d’organisations fréristes qui souhaitent réinstaurer le délit de blasphème au nom de la lutte contre la haine ? La question est légitime. L’UE s’est même proposée de “sensibiliserˮ les journalistes et commentateurs “aux récits sur l’islam et des musulmans dans les médiasˮ, de les “éduquerˮ sur l’utilisation du langage et de la terminologie, afin de “garantir l’équilibre des récits et de la narrationˮ lors de séminaires destinés à “améliorer la couverture médiatique des musulmans et de l’islamˮ ». Consternant.
Comme le rappelle dans un livre érudit et passionnant Naëm Bestandji, la question du corps de la femme est une obsession de la confrérie des Frères musulmans depuis leur création. Plus pernicieuse que la doctrine salafiste conservatrice, leur idéologie, qui se veut le mariage de la modernité et de l’islam, consiste en fait à islamiser la modernité. Le voilement ne se fonde pas sur le coran, mais sur la nécessité de s’affirmer en rupture identitaire avec l’Occident et ses valeurs. Le voile est un marqueur. Plus les femmes se voilent dans un pays, plus l’islam politique y est présent. Les campagnes de banalisation du hijab et de culpabilisation de la société (si tu ne considères pas le hijab comme un droit de femme libre, tu es islamophobe) sont primordiales. Porter le voile est plus important que faire ses cinq prières. C’est un service rendu à la « dignité » de la oumma. Les femmes qui le portent sont les militantes d’un mode de vie particulier. Porter le voile c’est se conformer à une exigence, non pas de « pudeur », mais bien au contraire de visibilité à outrance.
« Nous applaudissons, pauvres de nous, à la liberté du hijab. Et les Françaises de culture ou de religion musulmane, que cette normalisation fait plier, en sont les premières victimes. »
C’est un symbole sexiste et inégalitaire, quand bien même on se voile en toute liberté. Tout le reste est une jolie fable destinée à faire avaler la progression de l’islam politique. Le voile simple bout de tissu, comme n’importe quel accessoire de mode ? Si c’était le cas, rappelle Naëm Bestandji, « alors les femmes voilées ne devraient avoir aucun problème à le retirer pour décrocher un emploi, accompagner les élèves en sorties scolaires ou faire du sport. »
Le voile pas plus sexiste que la mini-jupe ou les talons aiguilles ? « Y a-t-il une idéologie totalitaire qui imposerait la mini-jupe ou les talons aiguilles sous peine d’emprisonnement, de châtiments corporels ou même de lapidation, comme pour le voile ? Y a-t-il eu des attentats au nom de cette même idéologie ? A-t-on assassiné des femmes qui refusent de porter la mini-jupe comme des femmes ont été assassinées parce qu’elles refusaient de se voiler ? La mini-jupe et les talons aiguilles ne sont pas les porte-drapeaux d’une idéologie totalitaire », écrit Naëm Besdtandji.
Il y a trente ans, souligne fort justement l’auteur, on demandait à une femme pourquoi elle se voilait. Aujourd’hui on lui demande pourquoi elle ne se voile pas. L’islam politique a fait un hold-up sur le corps des femmes en imposant un voile sexiste et inégalitaire. Mais nous applaudissons, pauvres de nous, à la liberté du hijab. Et les Françaises de culture ou de religion musulmane, que cette normalisation fait plier, en sont les premières victimes.
Le linceul du féminisme, Caresser l’islamisme dans le sens du voile
Naëm Bestandji
Editions Seramis4 novembre 2021, 21 euros